Tassili n’Ajjer (9) un martien sur les murs de Séfar
Nous arrivons à Séfar pour le déjeuner. Les chameaux s’éparpillent à la recherche d’une maigre pâture. Un targui casse du bois comme aux temps anciens avec une grosse pierre. Djébrine, assis dans une posture de vieux patriarche examine attentivement le livre de Lhote qu’une voyageuse a apporté. Il est extrêmement fier de s’y voir en photo et, entouré de touareg agenouillés près de lui, il discute ferme les endroits des nombreux sites représentés.
Comme nous retirons une épine du pied d’un des nôtres et que l’opération délicate dure, nos guides viennent prendre leur tour pour se faire soigner soit un orteil infecté, soit une piqûre enflammée et jamais distribution de mercurochrome sur des jambes brunes n’a produit autant de sourires épanouis.
Séfar est un tel chaos de rochers qu’on croirait voir une véritable ville avec ses labyrinthes de rues et ses monuments. Sur les murs aux étranges déchirures de ciel bleu de nombreuses scènes d’une grande diversité sont représentées : pasteurs conduisant leurs bœufs pour l’éternité, minuscules archers en position de tir, rare chien domestiqué, négresse masquée et petites femmes aux multiples scarifications, barque semblable à certaines barques d’Egypte prouvant assurément l’existence de l’eau autrefois, antilope blanche et personnages luttant de style archaïque, diablotins incompréhensibles sortis d’on ne sait quelle antre, caricature aux rouflaquettes en minijupe et cheveux longs d’une provenance bien mystérieuse, sans parler du french cancan d’autrefois et surtout du « martien » ! En effet, un surplomb abrite la fresque dite du « grand Dieu aux orantes » figure haute de six mètres ressemblant à un être vêtu d’un scaphandre d’espace. C’est en se basant sur des représentations de ce genre que des esprits imaginatifs tendent à supposer le passage sur terre, à une certaine époque, d’astronautes venus d’autres planètes et qui auraient été considérés comme des dieux..
De lumineux bouquets émaillent d’une touche jaune les creux de rochers. Une mosquée targui des plus sobres est dessinée sur le sol, simple quadrilatère de cailloux. Nous étanchons notre soif à la guelta de Séfar malgré des moues réprobatrices à tort de certains. L’eau est verte, immobile, prisonnière d’une vasque rocheuse cernée de lauriers roses. Nous choisissons ce lieu pour y bivouaquer ce soir dans l’espoir secret d’y rencontrer quelque animal venant s’y désaltérer , mais rien ne viendra troubler notre sommeil.
Réunis autour du feu, nous prenons conscience à la lumière orangée des flammes que nous en sommes à la période décadente des nez rouges ! Nous écoutons la simple histoire de ces hommes inséparables de leurs chameaux qui marchent une vie entière dans le désert transportant inlassablement des charges de sel qu’ils troquent contre du mil et des dattes. Nous méditons longuement puis chacun s’éloigne où bon gré lui semble, creusant son trou dans le sable, avant de s’endormir dans la paix d’une nuit saharienne.