Soborum est la station thermale Toubou. Vous prenez place dans une minuscule baignoire naturelle où coule de l’eau de source sulfureuse et chaude à quarante-deux degrés et cinq minutes de trempage suffisent à décaper vos cors aux pieds ! Les Toubous y passent trois nuits entières pour se guérir de leurs rhumatismes et dermatoses.
Des curistes sont là, dans une étrange solitude. Deux femmes avec un bébé, deux chameaux et deux chèvres. Elles n’ont oublié ni la provision d’eau potable indispensable, ni la nourriture : elles égorgent le chevreau sous nos yeux. Leur bébé a les doigts de la main soudés à la paume. Il est tombé dans le feu quand il était petit. Pourquoi les parents ne construisent-ils pas une murette de pierres pour éviter ces accidents trop fréquents ?
Il nous faut quitter ce lieu où toute vie est bannie et reprendre le long cheminement du retour. Deuxième nuit à Tarso Voon. Aujourd’hui nous n’avons plus rien à découvrir sinon renouveler les quarante-cinq kilomètres, perspective nettement moins enchanteresse qu’à l’aller.
Me déconsidérant aux yeux des bélas, j’accepte de monter sur un chameau et je peux enfin décontractée jouir du paysage. Mon chamelier me présente un grand seau d’eau. Je crois tout d’abord qu’il va faire boire l’animal, puis je m’aperçois que c’est à moi qu’il l’offre. On ne refuse pas de l’eau dans le désert. Je retrouve terre pour la descente d’une gorge où les chameaux manquent à tout instant se casser les pattes. Ce soir encore nous bivouaquerons sous la voûte étoilée de l’enneri Mossau , au camp I retrouvé.
Comme à l’habitude, la caravane des voyageurs va devant, l’arrière garde étant formée par les chameaux bâtés. Je fais un bout de route avec Edeye notre cuisinier stylé. Il nous fabrique de bons petits pains frais dans son four à Bardaï. C’est un bon bougre, toujours souriant, s’inquiétant de ma personne . Edeye est mon ami. Si quelqu’un n’est pas gentil avec moi, il dit : « Madame, faut-il casser caillou sur la tête au méchant ? ». S’il fait mal son travail, notre chef le menace : « Edeye, je vais t’envoyer sur la lune ». Cela l’amuse beaucoup. Nous jouons au Toubou, laissant reposer, tout en marchant, nos avant-bras sur une baguette flexible appuyée sur la nuque et les épaules.
Un éléphant est gravé sur un bloc avec tant de vie qu’on distingue trois crottes à sa suite . Comment une fleur peut-elle éclore de ce sol rocailleux ? Comment imaginer la violence des crues lors de gros orages capables d’arracher cet arbre entier qui nous barre la route ?
Nous retrouvons les voitures, la piste cahotante et les caresses d’épineux frôlés de trop près. Heureux nous sommes d’être de retour au camp de Bardaï, de déjeuner confortablement même à quatre heures de l’après-midi, de prendre une douche avec un seau d’eau tiédie au soleil et de changer de vêtements.
Edeye dont un des enfants est fiévreux me réclame les lainages que je lui ai promis, qui tombent on ne peut plus à pic puisque ses gamins de quatre et six ans n’ont rien d’autre qu’un boubou de coton à se mettre sur le dos.