Je choisis le méhari blanc du chef. Il porte sur son flanc droit la manassa, plat en cuivre ciselé. C’est lui qui a le plus d’allure avec son air dédaigneux, ses trois verrues sur le nez et son beau tapis rouge sur le dos. Le plus difficile est de se maintenir en selle quand il se relève. Je me cramponne ferme à la rahla et aux poils touffus de la bosse, essayant de garder en vain le contact de mes pieds nus avec l’encolure. Le rythme berceur ne m’empêche pas de regarder avec inquiétude le sol hérissé de cailloux deux mètres plus bas. Quelquefois le chemin est escarpé, les larges soles élastiques hésitent à se poser .
Le chameau de par sa constitution peut résister à la soif pendant plusieurs jour, mais après une période d’abstinence peut absorber jusqu’à plus de cent litres d’eau à la fois. Il n’est pas rare pour une caravane de sacrifier cet animal pour boire l’eau contenue dans sa panse quand les réserves sont épuisées et, détail horrible, quand on prévoit ce cas, on lui coupe la langue pour empêcher que la nourriture qu’il pourrait absorber ne souille cette eau
Nous partons à la guelta faire un brin de toilette avec précautions car il ne faut pas polluer l’eau . Au retour nous vivons un moment de panique, car à dix minutes seulement du camp, nous ne retrouvons plus le chemin, tous les rochers se ressemblant avec la nuit qui tombe en moins d’un quart d’heure.
Ce soir les touareg nous invitent autour de leur feu et nous distribuent par trois fois de minuscules verres emplis de thé à la menthe de plus en plus fort, de plus en plus sucré avec tout le sérieux des pratiques rituelles à cette cérémonie.
Nous assistons à la préparation de la kessera, cette galette de blé ou de mil cuite à même le sable sous des cendres chaudes qui, accompagnée de sauce pimentée, sert de nourriture. Elle a environ vingt-cinq centimètres de diamètre, c’est pour neuf personnes Pas étonnant que leurs corps bruns et musclés n’aient pas un gramme de graisse. Ils nous l’offrent si gentiment que nous ne pouvons refuser. L’un de nous prend un grand couteau et fait semblant, pour plaisanter, de leur couper la gorge. Ils rient comme des enfants. Il y a cinquante ans, il n’aurait pas fallu se permettre pareille fantaisie !
Un targui vit trois jours avec une datte, dit-on : le premier il la contemple, le second il mange la chair et le troisième il suce le noyau !
Nous vivons notre dernière nuit sur le plateau. Les découpes noires et familières des rochers sur le ciel orange ne sont déjà plus qu’un souvenir. Dernier lever de soleil.
Continuant notre marche nous arrivons devant une faille profonde, le grand canyon du Tamrit, la plus grande cataracte du Sahara, six cents mètres de chute verticale. Nous prenons un malin plaisir à précipiter de gros blocs de rocher pour effrayer Djébrine.
Nous chargeons une dernière fois les petits ânes et trouvons fort longue la descente des akbas et détestables les pierres qui roulent sous nos pas.