La Bérarde, village montagnard (2/3)
Nous avons vite fait d’en parcourir son unique rue. Le plaisir est grand pour moi de côtoyer de vrais montagnards portant leurs sacs sur le dos, leurs cordes usées, leurs piolets pas rutilants comme les nôtres et de voir leurs figures cuites par le réverbération des glaciers. Ici les alpinistes sont chez eux et il n’y a qu’eux.
photo du net
La Tête de la Maye surplombe le village
La Bérarde est encore, c’est amusant de le constater, pas pour longtemps d’ailleurs, l’un des rares coins en France où l’on puisse camper où l’on veut. Le Syndicat d’Initiative, nom pompeux pour une petite baraque de deux mètres carrés n’existe que depuis peu. L’étudiant chargé de s’en occuper pour se faire quelque argent de poche, préfère aux ascensions ou aux grandes courses à ski l’hiver, les distractions plus prosaïques des villes . On se demande ce qu’il est venu faire là. Il se promène toute la journée d’une tente à l’autre, l’air indolent, l’edelweiss entre les lèvres. Il n’a jamais dépassé la mi-hauteur des premières pentes et il est dégoûté de la montagne avant même de s’y être aventuré. Vraiment le type idéal pour encourager les vacanciers à ne point se lancer dans la moindre excursion !
photo du net
Il voit revenir ceux qui tombent et c’est là son excuse. L’argument a du poids, je l’avoue. Je n’ai pas voulu m’y soumettre. Il n’y avait qu’une porte à pousser, celle de la Chapelle N.D. Des Glaciers, où l’on avait redescendu le corps d’un jeune homme tombé à la Dibona, le deuxième jour de notre arrivée. J’aurais voulu deviner son visage, ses ultimes pensées, reflet du bonheur ou de l’effroi ? Je n’ai pas osé la franchir. Peut-être tout aurait changé en moi.
L’alpiniste croyant pénètre respectueusement dans cette chapelle. Son unique prière est que Dieu le garde de tous les dangers de la montagne. Il lit des noms d’hommes semblables à lui, morts aux Ecrins, à la Meije. Il songe à ces victimes, à leur dernier adieu avant d’être arrachées à leur montagne aimée. Et il part quand même. Il pense que la mort ne peut être pour lui. Il a foi en son compagnon de cordée. Il confie sa vie à une corde, à un piolet, à un piton. Il est sûr de lui et rien ne peut lui arriver, rien, sauf une pierre qui tombe et qui ne prévient pas.
Il a vu le soleil embraser sa montagne et il est parti.
Il a vu des vallons et des fleurs sauvages.
Il a traversé des névés, remonté des couloirs.
Il a été transi par le vent sur l’arête.
Il a usé ses doigts au contact de la roche rugueuse.
Il a goûté à l’altitude.
ll a crié victoire au sommet de chaque pic.
De ses yeux éblouis, il a contemplé longuement d’infinis horizons, les nuages et le vide au-dessous de lui.
Son corps seul redescend las et brisé.
Son esprit flotte encore, hésite entre la cime vaincue et celle désirée.
mon bivouac
au sommet de la Tête de la Maye à 2500 m