Refuge de la Charpoua – je pouvais mourir, je ne souffrais pas, c’était déjà le paradis (2/2)
Une pluie diluvienne se met à tomber avec la nuit venant et traverse nos impers. De l’eau glacée dégouline dans mon cou et trempe peu à peu tous mes vêtements. Je grelotte, je crois que je vais mourir, la nuit est éternelle. Au petit matin je suis tout étonnée d’être encore vivante. On se fait chauffer une demie tasse de café avant de repartir. Tout compte fait nous décidons de retourner au col pour descendre la paroi que nous connaissons. Des grêlons nous cinglent les joues comme autant de petites épingles. Je n’arrive plus à parler tant mes lèvres sont gelées.
Mauvaise surprise, la paroi est verglacée. Nous nous disputons pour un rien et commençons à descendre sans être encordés, jusqu’à ce que l’un de nous tombe et s’ouvre le genou.
Nous nous encordons. Après un rappel de 40 mètres la corde reste bloquée et il faut remonter pour la décoincer. Au bout de la journée nous ne sommes qu’à mi-chemin du refuge, nous n’avons descendu que 300 m de paroi.
Il nous faut bivouaquer une seconde fois. dans nos vêtements trempés, assis sur les cordes, les pieds dans le vide, éclaboussés de flocons de neige poussés par le vent.
La nuit est très longue sans rien dans le ventre, sans dormir, nuit passée à remuer les orteils, à essayer de réchauffer les mains sous les aisselles et à élaborer quelque prière vers le ciel pour qu’il ne nous abandonne pas. Là je me suis dit, puisque je ne suis pas morte la nuit dernière, je vais bien tenir encore pour celle-ci ! Le petit matin arrive enfin mais toujours pas de soleil pour nous réchauffer.
Grâce à notre réchaud, nous faisons fondre de la neige pour boire quelques gouttes de nescafé avant de repartir. Nous nous assurons à tour de rôle, nous dormons debout et il faut faire très attention à cause de la glace sur le rocher dont la difficulté est passée de 3 à 4 ou 5.
Pour atteindre la rimaye qu’il faut traverser, on fait un rappel de 25 m. Je ne peux plus plier mes doigts dont les extrémités sont déjà bleuies, la peau est décollée par endroits et je ne peux plus parler.( J’aurai les doigts gelés au deuxième degré, au troisième on coupe).
Dans la soirée, nous arrivons au refuge où il n’y a plus personne puisqu’il fait mauvais temps depuis deux jours. Nous nous étendons chaudement sous les couvertures, mes doigts entourés de coton trouvé dans la pharmacie. Aucune provision à part deux sucres découverts sur une table. Pour boire, on fait fondre de la neige.
Le lendemain, donc le quatrième jour, celui de nous en meilleure forme se décide à tenter la descente jusqu’à Chamonix pour prévenir les secours, notre vie en dépend. Il n’y avait pas de téléphone portable en ce temps là.
J’étais si épuisée et en même temps j’étais si bien allongée, plus aucun besoin, plus aucune souffrance, j’étais presque déjà au paradis et j’aurais pu mourir là, bienheureuse, je suis sûre. Etranges sensations.
Mais la vie m’a retenue, surtout quand vers 17 heures j’ai entendu l’hélicoptère, l’alouette 3 de la gendarmerie qui venait nous chercher avec ses sauveteurs si dévoués et à qui va toute ma reconnaissance. Mes compagnons, plus robustes sans doute, s’en sont sortis presque indemnes.
Après cette malheureuse expérience, j’ai fait de grandes et belles courses, toujours réussies avec des guides, comme la traversée du Mont Blanc et de la Meije.