Matthieu Ricard, moine bouddhiste et docteur en biologie moléculaire, invite à étendre notre bienveillance à l’ensemble des êtres sensibles dans son ouvrage » Plaidoyer pour les animaux ».
Nous aimons les animaux, mais nous les tuons et les mangeons aussi. Ainsi, à l’heure où le statut des animaux de compagnie devrait passer de « biens meubles » à « êtres doués de sensibilité », 60 milliards d’animaux terrestres et 1000 milliards d’animaux marins meurent chaque année pour notre consommation. Un véritable « zoocide », néologisme créé par l’auteur.
Extrait de l’introduction
« Certains naissent avec des tendances naturelles à la compassion. Dès leur plus jeune âge, ils font preuve d’une bienveillance spontanée à l’égard de ceux qui les entourent, y compris les animaux. Tel ne fut pas mon cas. De famille bretonne, je suis allé à la pêche jusqu’à l’âge de 14 ans. Je me souviens aussi, dans mon tout jeune âge, d’avoir, avec des camarades de l’école communale, fait griller des fourmis en concentrant les rayons du soleil à l’aide d’une loupe. Rétrospectivement, j’en ai honte mais, plus encore, je suis déconcerté à l’idée que ce comportement me soit apparu normal. Quand j’avais 5 ans, au Mexique, mon père m’a emmené voir des corridas. C’était la fête, la musique était exaltante… Tout le monde semblait trouver cela très bien. Pourquoi ne suis-je pas parti en pleurant ? Était-ce un manque de compassion, d’éducation, d’imagination ? Il ne m’était pas venu à l’esprit d’essayer de me mettre à la place du poisson, de la fourmi, du taureau. Avais-je simplement le cœur dur ? Ou n’avais-je simplement pas réfléchi, pas ouvert les yeux ?
Il a fallu du temps pour que s’opère en moi une prise de conscience. J’ai vécu plusieurs années avec l’une de mes grands-mères qui avait toutes les qualités qu’on peut attendre d’une grand-mère. Comme beaucoup de gens, par ailleurs bons parents ou bons enfants, elle était férue de pêche à la ligne. Lorsque nous étions en vacances, elle passait souvent ses après-midi à pêcher au bord d’un lac ou sur les quais du Croisic, en compagnie de vieilles Bretonnes qui portaient encore la coiffe en dentelle blanche des Bigoudens. Comment ces braves gens auraient-ils pu vouloir faire du mal à qui que ce soit ? Au bout de l’hameçon, les petits poissons frétillants qui sortaient de l’eau scintillaient dans la lumière. Certes, il y avait ce moment pénible, lorsqu’ils étouffaient dans le panier d’osier et que leurs yeux devenaient vitreux, mais je détournais vite le regard.
Quelques années plus tard, alors que j’avais 14 ans, une amie me fit remarquer à brûle-pourpoint : «Comment ? Tu pêches !» Le ton de sa voix et son regard à la fois étonné et réprobateur étaient suffisamment éloquents.
«Tu pêches ?…» Soudain, la scène m’apparut très différemment : le poisson tiré de son élément vital par un crochet de fer qui lui transperce la bouche, étouffant dans l’air comme nous nous noyons dans l’eau. Pour attirer le poisson vers l’hameçon, n’avais-je pas aussi transpercé un asticot pour en faire un appât vivant, sacrifiant ainsi une vie pour en détruire plus facilement une autre ? Comment avais-je pu si longtemps détourner ma pensée de cette réalité, de ces souffrances ? Le cœur serré, je renonçai immédiatement à la pêche.
Certes, en comparaison des drames qui dévastent la vie de tant d’êtres humains dans le monde, ma préoccupation pour de petits poissons peut sembler dérisoire. Mais ce fut pour moi un premier déclic.
À l’âge de 20 ans, j’eus la grande chance de rencontrer des maîtres spirituels tibétains qui ont, depuis, inspiré chaque instant de mon existence. Leur enseignement était centré sur la voie royale de l’amour et de la compassion universels.
Alors que, longtemps, je n’avais pas su me mettre à la place d’autrui, à l’école de ces maîtres j’ai peu à peu appris l’amour altruiste en ouvrant, du mieux que je le pouvais, mon esprit et mon cœur au sort des autres. Je me suis entraîné à la compassion et j’ai réfléchi à la condition humaine et à celle des animaux. Il me reste certainement un long chemin à parcourir, et je continue à faire de mon mieux pour avancer dans ma compréhension des enseignements que j’ai reçus. »
Pour ma part, j’avoue être horrifiée par les mises à mort dans les corridas, l’expérimentation sur les animaux de laboratoire, l’abattage d’animaux dans des conditions cruelles, les sacrifices d’animaux pour des rituels dans certains pays où l’on mange aussi chiens et chats.
Revenue de chez les tibétains, je ne voulais plus tuer un seul animal, à commencer par les moustiques, ensuite je me suis retrouvée pourtant dans une maison neuve avec des cafards derrière le frigo qui se multipliaient et j’ai dû la mort dans l’âme les exterminer ! Et puis il ne faut pas se cacher les yeux, hypocrites que nous sommes, la viande, le poisson, les volailles font partie de nos plats préférés. Cruels aussi nous sommes lorsque nous découpons un homard tout vivant ou que nous jetons les crabes ou les langoustines dans l’eau bouillante pour les cuire ! Ah je préfère n’y point penser !
C’est adopté ! Aujourd’hui l’Assemblée nationale a reconnu aux animaux la qualité d’« êtres vivants doués de sensibilité ».
C’est une avancée juridique qui j’espère permettra de relancer le débat sur la place accordée aux animaux dans notre société. Si elle était prise au sérieux, une telle loi devrait condamner de nombreuses pratiques dont les animaux sont victimes aujourd’hui, notamment en élevages et abattoirs. Nous en sommes encore loin: mobilisons-nous pour que ce vrai changement survienne.