Extraits de « Paisible était le chant des dunes »
Au Tassili n’Ajjer
Nous atteignons enfin le haut du plateau et parcourons une interminable étendue plate recouverte de cailloux noirs, le reg, avant de découvrir au loin une forêt de colonnes et de petites tentes blanches auprès, oh surprise, d’un cyprès millénaire.
Au camp de Tamrit, à mille sept cents mètres d’altitude, le vieux Djébrine âgé de près de quatre- vingts ans nous salue amicalement en inclinant son corps de deux mètres de haut et touchant le bout de nos doigts en disant « labès ». Il a la peau blanche, le poil roux, l’œil d’un vieux renard, la réputation d’avoir été dans son jeune temps le plus grand coureur de jupons du Tassili. C’est un marcheur infatigable connaissant par cœur tous les recoins de son pays ayant servi de guide à toutes les expéditions.
Sur des centaines de kilomètres carrés le plateau de Tamrit n’est qu’un vaste chaos d’aiguilles qui plantent leurs pointes au vif de la chair du ciel. Un monde minéral est là, sculpté par on ne sait quelle main délirante. Tapie dans l’ombre des grands rochers fauves, une guelta reflète le ciel bleu et l’ocre des pierres. La roche patinée par des siècles de soleil prend la couleur de l’or à cette heure crépusculaire.
Nous longeons le fond d’un canyon encore dans l’ombre, défilé inquiétant évoquant le terrible coupe-gorge où furent massacrés les membres de la mission Flatters. De hautes colonne de quatre-vingts à cent mètres de haut font penser aux ruines d’une cité médiévale avec ses donjons, ses flèches d’églises, ses porches de cathédrales. Le soleil surgit au-dessus de l’horizon et dessine sur le sable des ombres d’un bleu transparent. Le vent chante dans les cannelures d’étranges orgues de pierre et agite les touffes vert tendre du drinn. Nous flânons merveilleusement contournant de gros bouquets d’herbes piquantes aux délicates fleurs violettes au nom savant d’artémisia judaïca et que je nomme l’herbe à chameaux, suçant un brin de fenouil sauvage ou humant certaines plantes odoriférantes. Il suffirait d’un peu de pluie pour que des milliers de fleurs surgissent en l’espace de quelques heures, miracle de la vie dans le désert.
Perdus dans le ciel d’Afrique
Le DC 3 affrété spécialement pour notre groupe, après une escale à Sebha en territoire libyen, se dirige sur Bardaï au nord du Tchad.
La monotonie des immensités sablonneuses et l’atmosphère surchauffée nous rendent un peu somnolents jusqu’au moment où nous sommes tirés de notre assoupissement par la voix des pilotes appelant à l’aide notre chef d’expédition. L’avion survole alors une zone montagneuse au relief tourmenté. De tous ces pics, quel est donc le Toussidé, l’unique point de repère pour situer l’oasis ? Suspense éprouvant. Nos pilotes le font durer vingt bonnes minutes, envisageant même d’atterrir dans un oued le temps de réfléchir …
Enfin avec bonheur, nous apercevons la coulée verte de l’oasis de Bardaï, baissons d’altitude, frôlons de l’aile une montagne et atterrissons dans l’insoutenable luminosité du Tibesti, à l’heure où le soleil à l’aplomb darde ses rayons les plus chauds.